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Le génévrier

Gin, trésor culinaire et médicinal

Qui se souvient des ponses de gin, avec de l’eau chaude et du miel? C’était à une toute autre époque, mais combien chaleureuse. Quand un visiteur arrivait à la maison, il y avait toujours le flass de gin serré dans la garde-robe de la chambre (fallait pas que les enfants se saoulent!). Mais qui avait la curiosité de lire sur cette bouteille verte : aromatisé aux baies de genièvre…Ces fruits avaient beaucoup plus de potentiels : soigner une grippe!

Une chèvre des montagnes!

Arbuste vivace rampant, le genévrier commun trouve souvent refuge dans les replats des parois rocheuses exposées. Voilà pourquoi il est très difficile d’aller cueillir les fruits. Ne tolérant pas l’ombre, il peut aussi pousser dans les tourbières et même dans les pâturages. Sa distribution est générale au Québec et il peut même atteindre le Groenland. Le genévrier commun est un conifère très particulier par son allure et son habitat.

La forêt boréale est le paradis des conifères, arbres ou arbustes qui portent des cônes contenant les graines. Toutefois, certains d’entre eux font exception à la règle et produisent des fruits charnus : l’if du Canada ou buis, arbuste également, et le genévrier commun. Le fruit de l’if, très commun dans nos sous-bois, est rouge alors que celui du genévrier est bleu noir à maturité.

Le genévrier se présente avec des branches nombreuses et longues, près du sol, avec ses extrémités relevées. Dans la variété rampante retrouvée au Québec, les branches s’enracinent alors que la partie centrale vient à mourir laissant une couronne de branches enracinées appelée rond de fée. Ses aiguilles aromatiques, fines, pointues et groupées par trois persistent pendant trois ans.

Autre particularité de ce conifère rampant : les plants sont à sexes séparés, tout comme les saules et les trembles. Les organes de reproduction sont disposés à l’aisselle des aiguilles de l’année précédente. Au printemps, des plants portent les fleurs mâles très petites, alors que d’autres ont les fleurs femelles. De la sorte, on a des talles d’arbustes mâles qui ne produiront que du pollen et d’autres, auront des organes femelles qui, après la fertilisation, donneront les fruits charnus, appelés galbules, contenant de une à trois graines.

Ces fruits arrivent à maturité le troisième automne après la floraison et c’est la raison pour laquelle il est fréquent de trouver des fruits verts sur l’arbuste, signe qu’il faut attendre encore une année pour que le fruit arrive à maturité. Il est recommandé de porter des gants pour les cueillir car les aiguilles sont piquantes. Les fruits ne tombent qu’après un ou deux ans si aucun oiseau ne les mange contribuant à la dissémination des graines qui germent mieux après un passage dans leur tube digestif.

Les graines mûres peuvent prendre de deux à trois ans avant de germer, nécessitant un traitement au froid pendant l’hiver comme tous les autres conifères. Ce phénomène se nomme stratification et il est bien connu des forestiers.

Le marché de la baie de genévrier est international et sa demande est forte. Après la récolte des fruits bleus, il faut les faire sécher à l’air et non pas à la chaleur car il y a des risques d’altérer ses propriétés gustatives ou médicinales.

Une plante médicinale

Brûlé dans les temples, le genévrier commun fut longtemps associé à la purification rituelle. Il était un des ingrédients de plusieurs recettes médicinales très anciennes qui nous sont parvenues grâce à des papyrus égyptiens datant de 1500 ans avant J.-C. En Europe centrale, l’huile extraite des fruits était une véritable panacée contre plusieurs maladies : typhoïde, choléra, vers intestinaux, rhumatismes, rhume, goutte et calculs urinaires. Cette huile, à cause de ses propriétés antimicrobiennes et antifongiques, est encore utilisée contre l’arthrite.

Les Amérindiens utilisaient son écorce en cataplasme sur les blessures. La décoction de branches et d’aiguilles se buvait en thé pour relâcher les muscles après un accouchement. Elle est donc contre-indiquée pour les femmes enceintes.

Pour la bière et le gin

Le mot gin vient du nom de cet arbuste et ses fruits constituent un ingrédient important pour l’aromatiser. En 1550, un apothicaire hollandais fabrique du genever, un mélange d’eau-de-vie et de baies de genévrier, pour soigner les maux de dos et les muscles endoloris. Distillé en Angleterre dès la fin du XVIIe siècle, le genever prit alors le nom de gin. En France, une bière appelée genevrette était faite avec de l’orge et les fruits du genévrier.

Sylvain Racine et Roger Fontaine, de Rouyn-Noranda, sont en processus de démarrage d’une micro distillerie. Ces deux passionnés dans la quarantaine, travaillant actuellement dans des mines, ont déjà réalisé leur plan d’affaire et leur logo. Depuis 2017, les deux comparses font des essais sur la distillation de divers alcools de leur cru et en 2018, Sylvain a suivi une formation sur la distillation. Ils iront poursuivre leur formation à Kewlona (C.B.) afin de devenir maîtres-distilleurs.

L’entreprise vise l’utilisation optimale des plantes de la forêt boréale pour aromatiser leurs alcools et l’une d’entre elles est le genévrier. D’autres plantes ont déjà été testées : amélanchier, bleuet, noisette, cerise à grappes, thé du Labrador, etc. Ils anticipent également de fabriquer leur propre alcool de base (eau + sucre + levure) alors que certains préfèrent l’acheter. Un gin doit contenir au moins 50% des aromates qui proviennent du genévrier. Autre avantage de cet alcool : aussitôt distillé, il est prêt à boire alors que d’autres comme le whisky doivent vieillir dans des barils en bois.

Les entrepreneurs comptent évidemment sur la localisation de la ville de Rouyn-Noranda, carrefour régional, porte de l’Ontario et aussi sur l’effervescence de sa vie culturelle.

Pour la choucroute et d’autres plats

Le fruit du genévrier est un condiment très apprécié depuis l’époque de Babylone (1700-500 av. J.-C.) car il possède une saveur légèrement résineuse. Les baies ayant un goût assez prononcé, il est de mise de les utiliser avec parcimonie. La choucroute se fabrique avec du chou vert cru et coupé, du sel, des baies de genièvre, le tout fermente de 3 à 8 semaines dans un contenant hermétique.

Francis Goulet, nouveau propriétaire du dépanneur à Ste-Agnès-de-Bellecombe, connait bien les divers usages de cette baie. Très jeune, et grandement influencé par la cuisine de sa mère, il a été exposé à des plats raffinés dans son Témiscamingue. Toutefois, c’est une tante dont le conjoint était originaire de la France qui l’a marqué avec des repas combinant le foie gras, le prosciuto et bien sûr, les vins!

Après ses études collégiales, il débute un baccalauréat en enseignement à l’UQAT. L’appel de la bonne cuisine le travaille et il entreprend un DEP en cuisine à La Sarre. Très impliqué pendant sa formation, il y décroche la bourse Coup de cœur, avant d’entreprendre une carrière de chef cuisinier à la Bannik, puis à la Maison des viandes. Son trajet d’amoureux compulsif de la bonne chair l’amène à la Résidence St-Pierre, à Rouyn-Noranda, alors qu’il envisageait depuis quelques années l’achat de ce dépanneur. De plus, il fait partie des chefs dans Tout le monde à table, à la découverte des produits régionaux de l’Abitibi-Témiscamingue, tome 2.

Lors d’un voyage en Alsace en 2015, il déguste la meilleure choucroute au monde, celle qui intègre à la choucroute, des lardons, du vin blanc, des patates, de la saucisse et du jambon. Les baies de genévrier peuvent aussi bien agrémenter un plat sucré que salé : marinades pour poulet ou poisson, gâteau 4-épices, etc.

Étant dans la trentaine, son besoin de partager la bonne chair devrait se concrétiser à son dépanneur en implantant une cuisine commerciale: mets cuisinés, hamburgers de spécialité, frites dans dans le gras de canard, etc. Il lui apparait primordial d’intégrer les produits locaux dans ses projets. Le déclic culinaire de son enfance est loin d’être tari.

CONCLUSION

Force est de constater que la forêt boréale possède des trésors insoupçonnés et les fruits du genévrier en font parti. Avec un peu d’imagination, les baies peuvent agrémenter plusieurs types de plats, et pourquoi pas une choucroute de Bellecombe. Un dosage savant pourrait conduire à produire un gin de spécialité s’il en tient aux propriétaires de la future micro distillerie. Compte tenu des propriétés médicinales de ce fruit, il est sûr qu’aucune grippe ne peut lui résister! Alors mangeons et buvons…